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N’OUBLIE PAS DE VIVRE


« N’oublie pas de vivre », tel était le titre de la belle aventure que nous venons de terminer cette année dans nos rencontres philosophiques des lundis et mercredis sur ZOOM. Le titre déjà pose problème : pourquoi nous dire de ne pas oublier de vivre ? Pourquoi le grand Gœthe a-t-il eu soin de nous pousser dans ce sens ? C’est que nous vivons déjà, c’est évident, Herr Gœthe ! Bien sûr que nous vivons, mais il faudrait, il serait précieux, de prendre conscience que nos journées se passent à vivre la vie de l’animal, de l’âne, par exemple, qui tourne autour du puits, toute la journée et tous les jours, sans demander davantage, ou de la poule qui pond son œuf et qui picore le reste de la journée. La vie de l’âne pour nous ? La vie de la poule ? Pas tout à fait, parce que nous, humaines et humains, nous parlons. La belle affaire ! La journée terminée, nous nous racontons nos journées… d’ânes et de gallinacé.e.s. Rarement plus. Comment le pourrions-nous si nos expériences sont à ce point légères qu’elles ne gardent pas notre conscience en éveil ? Il est question de notre conscience humaine, bien entendu.

Attaché.e.s dans notre caverne de Platon, nous rêvons d’une vie « ailleurs », là où nos journées auraient du sens. Nous rêvons d’un passé idéalisé, nous imaginons un avenir passionnant. Nous rêvons notre vie, finalement. Cette vie désespérément quotidienne qui n’apporte que banalité et trivialité, routine, habitude, platitude et soucis. Il faut bien reconnaître que des exemples par milliers nous en donneraient la preuve : qu’y a-t-il de transcendant dans le fait de couper un poireau en morceau ? de faire une énième soupe ? laver la vaisselle ? etc., etc., etc… Rien là-dedans de bien excitant, rien de sublime ; notre vie est plate.

Mais voici qu’à force de méditer les propos de Gœthe rapportés par le philosophe amoureux des exercices spirituels des philosophes antiques, Pierre Hadot, nous avons commencé à comprendre que tous, ou la plupart de nous, aurions avantage à apprendre à changer notre regard lourd sur le monde, à nous élever, et que peut-être, « soudain », s’éveillerait notre vie à nous, la vraie, celle de notre intelligence, celle de notre sensibilité « humaine » c’est-à-dire animée par notre belle intelligence. Celle dans laquelle peut apparaître enfin la splendeur de l’existence.
Tant que l’on n’aura pas accepté l’idée que les choses matérielles « cachent » en elles la réalité idéale lumineuse qui est leur vérité, on en restera à trancher et retrancher dans notre être notre identité même, c’est-à-dire notre vie spirituelle, invisible par définition mais réelle par définition aussi. Mais comment on fait ça ?

D’abord en étant complètement attentive et attentif au moment présent – un moment de conscience, pas celui des minutes qui passent sur l’horloge. Puis nous élevant en imagination, et en esprit, il s’agit de se forcer à découvrir la richesse et la valeur de ce que nous sommes bêtement en train de manipuler. Valeur morale, valeur esthétique, valeur poétique, ou encore sa valeur d’intensité de l’expérience. Ainsi, comment ne pas « voir » que notre poireau de tout à l’heure est une merveille de la nature, qu’il s’est façonné à même la terre tout l’été, dans le silence de la terre, et qui se donne à moi avec son élégante blancheur, et avec tout le goût qu’il me révèlera pour peu que je fasse ma soupe ? Moment sublime qui fait la vie belle et bonne.

Voilà ce que notre aventure philosophique de l’automne nous aura révélé. Je souhaite à toutes et à tous de se risquer dans nos aventures philo. Un petit séminaire éclair de quatre rencontres commencera la semaine prochaine et une session régulière de 10 semaines se mettra en place à la mi-janvier. Frissons garantis.

MONIQUE LORTIE
lortie.monique@gmail.com