Éditorial du dimanche 16 novembre 2025
Ann Montreuil, éditorialiste
Il est parfois des phrases qui résonnent et attirent toute notre attention. Dans sa dernière homélie, le père Édouard Shatov citait la devise de St-John Henry Newman, cardinal britannique ayant reçu le titre de docteur de l’église en cette fête de la Toussaint 2025: «Le Cœur parle au Cœur». Il avait même signé un éditorial avec ce même titre le 18 juin 2023. Je prends la liberté de réexplorer ce thème.
Ce dont il est question ici est l’essence-même de toute relation véritable, de celle qui reconnaît, soulage, relève, guide. Elle va au-delà d’une simple adhésion intellectuelle, d’une doctrine. Elle ne s’appesantit pas de formalités parce qu’elle doit rester exempte d’artifices.
Le Cœur parle au Cœur: invitation une relation de réciprocité, d’accueil, de liberté, de questionnement qui permet de mieux saisir notre place et rôle unique dans cet univers, en ce temps précis.
Certes pour y parvenir il faut faire place au silence pour favoriser le contact avec cette Présence au plus intime de nous et oser un abandon confiant. Il est possible d’être sourd ou de devenir amnésique face à cet appel tout comme il est aussi possible de renouer contact en se rendant à nouveau disponible, les sens en éveil.
Le Cœur de Dieu nous interpelle de bien des façons.
Récemment en voyage en Occitanie et en Corse, combien de fois ai-je été touchée par la grandeur, la puissance, la limpidité, l’harmonie, la beauté, la résilience de la Nature (et ma liste n’est pas exhaustive). L’«arrêt sur l’image» pour s’en saisir me rapproche du Cœur-Créateur et permet de m’abreuver à cette source intarissable.
Les dessins rupestres, les tours de guet, les pierres taillées disposées savamment, les églises qui accueillent, les châteaux des notables ou des forbans, le champs cultivé avec ténacité en terrain rocailleux, les musiques d’orgue ou chants polyphoniques, les marchés mettant à l’avant les spécialités locales parlent du cœur d’une humanité qui cherche à témoigner, à se définir, à bâtir, d’une humanité qui a peur, qui rêve, qui espère, d’une humanité qui parle et que je peux entendre pour mieux la connaître et me connaître en retour.
Mais pas besoin d’aller si loin…
Au centre de nos relations, de notre famille et communauté il y a place aussi pour ces échanges de cœur à cœur pour y partager nos joies et misères, nos questionnements afin de cheminer ensemble.
Et si l’accueil de la souffrance de l’autre dépasse ma capacité à lui venir en aide, cela devient l’occasion de la présenter au Cœur de Dieu, Celui au-dessus de tout, Qui veille, Qui est là, toujours.
Le Cœur de Dieu nous rejoint également par les Écritures:
nous pose des questions: Qui suis-je pour toi? M’aimes-tu?
nous invite: Viens, suis-moi; Demandez et vous recevrez, Aime ton prochain…
nous prévient: Prends garde que la lumière qui est en toi ne soit pas obscurité; On se
dressera nation contre nation…
nous rassure: Ne soyez pas terrifiés…
Prenons le temps de lui répondre avec sincérité, de le questionner, de l’écouter sans craindre, de lui demander l’aide dont nous avons besoin.
Carl Gustav Jung, psychiatre, disait que précédant la foi, il y a l’expérience, que la religion provient d’abord d’une révélation intérieure, le centre de l’âme étant le lieu de rencontre avec le Divin. Selon lui l’expérience religieuse est absolue et indiscutable et celui (celle) qui l’a faite possède l’immense trésor d’une chose qui l’a comblé, d’une source de vie, de signification et de beauté.*
Le Cœur parle au Cœur est cette expérience indicible, transformante et fait référence au «numineux » de Jung.
J’y vois l’occasion de se repencher sur ce qui a suscité notre adhésion à la relation. On parle plus de notre foi (encore que…) que de cette expérience personnelle fondatrice. C’est plus simple, moins confrontant peut-être, moins intime assurément mais il y a là des lieux de partage vivifiants.
Comme le dit la chanson «Tressaillez de joie car vos noms sont inscrits dans le cœur de Dieu».
Bonne semaine et bon CŒUR À CŒUR!
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*Frédéric Lenoir, «Jung, un voyage vers soi», Albin Michel, 2021.
