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La musique

Billet éditorial, dimanche 1.06.2025
Monique Lortie MA phi (lortie.monique@gmail.com)

© In Memoriam Diegojack / Jacques, La naissance des notes

Encore une fois, je nous ai trouvé une petite fable pour nous inviter à penser. Penser, n’est-ce pas ce qui fait de nous des humains? Quel don extraordinaire nous avons reçu du Créateur!

La fable s’intitule «La musique»1.

C’était un magicien de la harpe. Dans les plaines de la Colombie, il n’y avait pas de fête sans lui. Pour que la fête soit une fête, Mesé Figueredo devait être là, avec ses doigts dansants qui égayaient les airs et affolaient les jambes.

Une nuit, sur un sentier perdu, des voleurs l’ont attaqué. Mesé Figueredo revenait d’un mariage à dos de mule, lui sur une mule, sa harpe sur une autre, quand des voleurs se sont jetés sur lui et l’ont roué de coups.

Le jour suivant, quelqu’un l’a trouvé. Il était allongé sur le chemin, torchon sale de boue et de sang, plus mort que vif. Avec ce qui lui restait de voix, il a dit:
– Ils ont emporté les mules.
Et il a ajouté:
– Ils ont emporté la harpe.
Puis, Mesé Figueredo a repris son souffle et a dit:
– Mais ils n’ont pas emporté la musique!

Quand tu as le sentiment que ce que tu appelles la vie te fuit, quand tes amis se font de plus en plus rares – «Ce sont amis que le vent emporte, et il vantait devant ma porte. Sont emportés!», écrivait le poète, Rutebeuf, au 13e siècle, déjà…

Quand tes enfants oublient jusqu’à la plus précieuse chose que tu leur as donnée, la vie, et se disent trop occupés, ou trop fatigués pour te fréquenter avec assiduité – j’ai moi-même vu, de mes yeux vu, et entendu des enfants adultes se rassembler à l’hôpital pour convaincre leur maman de demander l’aide à mourir… parce qu’elle leur était devenue un poids, une charge, une source de fatigue.

Quand la maladie s’acharne sur ton corps qui «avant» t’obéissait si bien, quand tu en viendras à croire que tu n’y arriveras pas, que maintenant c’est ainsi et pas autrement, alors pense à Mesé Figueredo!

Pense à Mesé Figueredo, pense à ce que tu voudras, mais surtout, pense! La pensée, n’est-ce pas la plus belle chose que le Créateur nous ait donnée?

Gratitude, déjà.

Les yeux, c’était déjà bien pour voir le monde et sa beauté, mais avec la pensée tu «comprends» le monde! Une page couverte de mots ne dit rien à celle ou celui qui ne sait pas se servir de sa pensée. Or nous, humains, toi et moi, avons reçu ce cadeau de la pensée! On pourra nous enlever tout, mais on n’emportera pas la pensée humaine. Gratitude, gratitude!

Ne laisse pas des pensées médiocres et mesquines, petites et de ressentiment te remplir d’amertume, te pourrir la vie, mais fais tiennes, encore, les paroles de Mesé Figueredo: «On m’a enlevé mes fidèles mules, on m’a enlevé ma précieuse harpe»… Mais, à moi, diras-tu, toi, on ne m’a pas enlevé… l’Espérance!

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1 Edouardo Galleano, Éditions Homnisphères, trad. 2004.