Z’en avez pas marre des bulletins de nouvelles qui redisent en boucle ce que tout le monde sait déjà et ce que personne au fond ne comprend ? On nous parle de chiffres, on nous fait de véritables pièces de théâtre dramatique, on s’occupe de notre imagination ne laissant nulle place où la main [des médias] ne passe et repasse. Tout ce qu’hier enflammait nos conversations est aujourd’hui disparu : Jean Vanier, #MeToo, la pédophilie, la liberté d’expression, Donald Trump, le prix de l’essence, les régimes sans sucre, les défis trente jours sans alcool, etc… Ce sont amis que vent emporte…
Aujourd’hui, dans chaque maison un vent de panique nous emporte dans un tourbillon d’angoisse et de peur. Et si l’on pensait à autre chose ? Je vous propose une petite lecture qui fait du bien. Un texte dont le ton est à la fois poétique et philosophique ; il est de René Barjavel*. On n’y résiste pas. Un texte qui parle, au fond, des « vraies affaires » du printemps qui est là, lui, non comme une menace mais comme un bonheur.
« Jamais je ne m’habituerai au printemps. Année après année, il me surprend et m’émerveille. L’âge n’y peut rien ni l’accumulation des doutes et des amertumes. Dès que le marronnier allume ses cierges et met ses oiseaux à chanter, mon cœur gonfle à l’image des bourgeons. Et me voilà de nouveau sûr que tout est juste et bien, que seule notre maladresse a provoqué l’hiver et que cette fois-ci nous ne laisserons pas fuir l’avril et le mai. »
Quelle belle sensibilité qui parle ici ! Je nous souhaite en phase avec elle !
« Le ciel est lavé, les nuages sont neufs, tout à l’heure le tilleul va fleurir et recevoir les abeilles, les roses vont éclater et cette nuit, le rossignol chantera que le monde est une seule joie. Tout recommence avec des chances neuves et, cette fois, tout va réussir. C’est la grande illusion annuelle. Le règne végétal s’y laisse prendre en premier. D’un seul élan, des milliards d’arbres et de plantes resurgiront, pousseront des tiges enthousiastes, déplieront des feuilles parfaites qui n’ont pas de raison de ne pas être éternelles. »
Y avons-nous déjà pensé ?
« Pour nous que le printemps aborde, l’automne est invraisemblable et l’hiver n’a pas plus de réalité que la mort. Le marronnier sera blanc comme des communiantes, le pêcher, une flamme rose, le lilas une torche. Dans tous les jardins, les champs et les forêts, dans les immensités cultivées ou sauvages, sur chaque centimètre de terre non déserte, ce sera le prodigieux déploiement de l’amour végétal silencieux et lent. Pour que la vie continue. Et c’est ça qui est le vrai. Chaque fleur est un sexe. Y avez-vous pensé quand vous respirez une rose ? Chaque fleur est même, le plus souvent, deux sexes, le mâle et la femelle, et sa vie brève est, dans un flamboiement de beauté, l’accomplissement de l’amour. »
« Et c’est ça qui est le vrai », dit Barjavel. Plus vrai que l’angoisse, que la peur, plus vrai qu’un accident de parcours qu’est un méchant virus. Plus vrai parce qu’accomplissement d’un ordre irrésistible et éternel qui s’appelle la Nature.
« Pour que la vie continue, le règne animal à son tour va s’émouvoir. Dans les forêts et les champs, sous les cailloux, sous les écorces, dans l’épaisseur de la terre et dans le vent, toutes les espèces animales, du ciron à l’éléphant, jetteront leurs mâles à l’assaut des femelles. Dans chaque trou d’eau, dans les mares, les fleuves et les mers, les femelles des poissons pondront des milliards d’œufs sur lesquels les mâles viendront projeter leur semence. Pour que la vie continue. Y avez-vous déjà pensé ? » (À lire 3 fois.)
Ouvrons les yeux. C’est le temps d’éveiller nos sensibilités. Le soleil est là, le ciel, bleu craquant, l’air est bon : c’est le printemps, mes amis, serions-nous en train de l’oublier ?
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*René Barjavel, La faim du tigre, Paris, Denoël, coll. Folio, 1966, légèrement modifié.
MONIQUE LORTIE
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