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LE JARDIN MEURTRI DE LA RUE DU FOULON

ÉDITORIAL DU DIMANCHE 30 OCTOBRE 2022
Monique Lortie, M.A. phi

Serions-nous la civilisation du gazon, de l’herbe rasée ? demande Serge Bouchard dans son « petit tableau » intitulé « Le gazon » (LE MOINEAU DOMESTIQUE).

Prenons de la hauteur philosophique sur un événement malheureux qui a eu lieu il y a quelques jours, chez nous, dans notre ville de Québec.

Observer, s’étonner puis « prendre de la hauteur », voilà l’attitude du philosophe.

La semaine dernière, un bulldozer est venu piétiner, démanteler, détruire définitivement un superbe espace dévolu à des jardins communautaires sur la rue du Foulon, au pied de la côte de Sillery. L’espace de culture situé entre l’asphalte et la voie ferrée qui suit la promenade Champlain n’a, depuis plus de 50 ans, d’autre vocation que celle de permettre aux voisins-voisines de se connaître, de s’apprécier, de s’échanger des recettes culinaires et potagères. Depuis plus de 50 ans !

Mais voilà que récemment un « obsédé de la tonte et de la taille » a surgi dans l’histoire. Enivré de contrôle, et de ressentiment, un voisin bougonneux s’est donné le mandat de faire arracher ce « tas de broussaille » qu’il jugeait… inesthétique.

Notre homme a ameuté la Ville, jusqu’au CN à qui appartient cette petite bande de terrain vague entre rails et chaussée. Il en a mis du temps, notre monsieur, il en a mis de l’énergie, il en a mis de l’adrénaline avant d’arriver à son grotesque but !

La triste affaire ne serait qu’un fait divers si elle n’était, aussi, immorale.

Immorale, elle l’est car elle est une affaire humaine : poursuivre son noir dessein dans le but de ravir à ses voisins une des plus merveilleuses et honnêtes joies de la vie : cultiver ses haricots, ses salades et son ail. On pourrait même ajouter, si on était philosophe, que la culture maraîchère est une de ces choses qui distinguent l’homme de l’animal. C’est dire !

Mais qu’à cela ne tienne : cet homme de colère (et de ressentiment) a eu raison des administrations pusillanimes. Je veux dire par là des administrations qui prêchent la protection de l’environnement, la sensibilisation à la nature, qui se disent « contre le béton, la poussière et la pollution », mais qui frissonnent lorsqu’un seul citoyen – un seul – élève la voix pour réclamer son plein droit au… gazon !

« Un million d’années pour en arriver là », s’écrie Bouchard indigné : interdire tout potager domestique, s’acheter des tondeuses à gazon, « tondre le gazon et aimer ça » ! Voilà l’homme aujourd’hui.

Je crains que nous ne soyons ici en plein dans le wokisme ambiant : l’exigence d’un seul qui se prétend lésé balaie la vie de tous les autres et piétine tous les principes. Au nom de l’inclusion ! L’entreprise – et sans doute aussi, l’intention – est, tout simplement, perverse.

Or les légumes sont une nourriture pour l’homme. Respecter le potager, c’est alors respecter l’homme.
Qui plus est, toutes ces activités maraîchères font de l’humain – les animaux ne font pas de potager – un être qui participe à la Création.

Déconstruire la nature est déjà très grave ; déconstruire l’humain est impardonnable.