Billet du dimanche 12.02.2023
Monique Lortie, M.A. phi
C’est la nouvelle formule insérée il y a peu dans le Notre Père. Pour être tout à fait franche, cette formule m’agace. Car, voyons, on entre dans une colère noire, on sombre dans la dépression, on tombe en amour mais s’agissant de la tentation, comment y « entrons »-nous ?
Pendant tous ces dimanches où j’avais congé d’écriture, soit depuis décembre dernier, j’ai eu le temps de penser et quand je pense, je pose des questions. Or cette phrase du Notre Père me hante.
Car enfin, quand on a une tentation, il ne s’agit pas d’y entrer par soi-même : on y est poussés, non ? Poussés à agir malgré notre volonté.
Quand il y a tentation, il y a un tentateur. Un tentateur qui connaît ma nature humaine et qui se substitue à mon libre arbitre. Afin de me faire agir selon son bon vouloir à lui, le Tentateur.
Je n’y « entre » donc pas, on n’entre pas dans un agir. Agir, c’est faire, faire quelque chose : un meuble, une déclaration, un apprentissage, un voyage, manger, choisir, s’impatienter, etc.
Quoique…
Quoiqu’il faille toutefois des conditions dans lesquelles viendra se placer l’action à accomplir. Pour faire un meuble, il faut la science de l’ébénisterie… et le désir très fort de réaliser ce meuble. Pour l’amour du beau, par exemple, ou pour la satisfaction et l’orgueil de l’artisan…
Il y a donc un « lieu » dans lequel l’action se déploiera. Et l’on imagine sans peine que sans le désir, sans l’émotion, sans la passion, rien ne se fera. « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion » a dit, déjà, le philosophe Hegel.
« Les hommes ne se mettent pas en colère pour un simple malheur mais quand ils se croient lésés », écrit aussi C. S. Lewis dans son étonnant petit ouvrage intitulé Tactique du diable.
On a là une piste : nous pourrions dire que se-sentir-lésé est un lieu dans lequel nous nous engouffrons, nous « entrons », avec passion pour céder à la colère, un des sept péchés capitaux, ne l’oublions pas.
Un autre « lieu » de la tentation : c’est la mauvaise humeur. Laissez-vous happer par la mauvaise humeur et alors l’impatience, les jugements téméraires, l’intolérance jusqu’à l’angoisse vont se mettre à s’agiter en vous et vous y céderez. Ces états pernicieux vont vous pourrir la vie. Une vie qui autrement serait sereine et bonne, la voilà menée par le Mal. « Délivre-nous du mal », ajoute le Notre Père.
Tout cela se tient, n’est-ce pas ? Le Notre Père, finalement, aurait raison de traduire le mot hébreu (massa), par « entrer en tentation ».
Certains commentateurs religieux des textes anciens associent cette formule à l’épisode du désert et en font comme un lieu géographique.
Quant à moi, je préfère de loin le sens aristotélicien du mot lieu qui a une connotation plus large, plus logique (logos), plus reliée à l’intelligence discursive humaine. En somme, moins matérielle, plus divine.
Et vous ?