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Le vrai disciple

©Lawrence OP || https://flic.kr/p/2gJqpzP

20 février 2022        7e dimanche du temps ordinaire, année C – Luc 6, 27-38
Lectures de ce jour

Nous sommes familiers avec le Sermon sur la montagne de l’évangile de Matthieu, les chapitres 5-6-7, qui s’ouvre par le fameux texte des béatitudes : ‘Heureux les pauvres en esprit.’ Nous avons entendu, dimanche dernier, son parallèle en Luc : le discours dans la plaine, où les béatitudes prennent un tout autre tournant, comme nous le rappelait le Père Marcel. Inutile de rechercher où se trouvent cette montagne et cette plaine ; il s’agit plutôt d’un procédé littéraire qu’emploient nos deux évangélistes pour rassembler des enseignements de Jésus prononcés en divers moments de son ministère. La page d’évangile que nous venons d’entendre est tout juste la suite de ce que nous avions dimanche dernier et en décline les conséquences. Nous pourrions l’intituler : le vrai disciple.

Cela ne vous paraît-il pas un peu exigeant ? Aimer ses ennemis, souhaiter du bien à ceux qui vous insultent, tendre l’autre joue, prêter sans espérer quoique ce soit en retour, et encore plus fort : être miséricordieux comme l’est le Père dans les cieux. Être disciples de Jésus ne serait pas tout à fait une promenade en forêt… Essayons de comprendre.

L’Ancien Testament regorge de passages de violence, de vengeance et d’ennemis à vaincre et anéantir. Le Deus Sabaoth de notre sanctus veut bien dire : le Dieu des Armées. Il nous est resté en mémoire un Dieu puissant et vengeur face à tout ennemi d’Israël. Disons plutôt un Dieu protecteur de son peuple qui, par-delà ses infidélités, le garde tout près de son cœur. Comme l’écrivait un bibliste récemment : Jésus est un juif à 100%. Il est de ce peuple et ne renie pas l’héritage de ses pères. Pourtant..

Oui, pourtant, il rapproche des textes de la Torah comme aucun rabbi avant lui n’avait voulu le faire : le commandement de l’amour de Dieu du Deutéronome (‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces’) que tout juif dit matin et soir, de cet autre commandement tiré du livre du Lévitique : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Encore faut-il comprendre que ce prochain, c’est un autre juif, en plus de ‘l’étranger vivant parmi vous’. À vrai dire le reste du monde, les peuples voisins, ne sont vraiment que des ennemis. Ici, Jésus se démarque royalement : aimez vos ennemis, souhaitez du bien à ceux qui vous persécutent.

Jésus ne prêche pas la naïveté, l’amour de la souffrance ou de la déchéance. Il parle plutôt de bienveillance envers tous parce que pour lui tous sont enfants du même Père, qui fait lever son soleil sur les justes et les méchants. Son message ne vise pas les seuls juifs mais toute personne humaine, croyante ou non. C’est la clé pour comprendre la règle d’or, évoquée ici en sens positif : ‘ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.’

Jésus innove dans l’interprétation de la Torah qu’il respecte jusqu’au dernier iota. Il va plus loin dans les exigences de fidélité à la Loi de Dieu. Dans l’évangile de Matthieu on l’entendra dire : « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Œil pour œil, dent pour dent’ (c’est la loi du talion qui exigeait de ne pas faire une vengeance plus grande que le mal reçu) eh bien moi je vous dis de ne pas riposter au méchant. » Jésus veut que le vrai disciple n’entre pas dans la spirale de la violence et qu’il récuse la casuistique des pharisiens pour se soustraire aux exigences de l’amour du prochain.

Autre exemple encore plus frappant, c’est l’enseignement de Jésus sur le pardon. Rappelons-nous la question de Pierre : « Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? », « 70 fois 7 fois », de répondre Jésus, c’est-à-dire toujours, 7 étant le nombre parfait. Au Moyen-Orient, hier comme aujourd’hui, nous retrouvons des peuples qui ont la mémoire longue et où le pardon est la marque de faiblesse. De génération à génération on sait entretenir la rancune. Alors quand Jésus parle de pardon, il rencontre un mur d’incompréhension, même chez les disciples qu’il a formés. Le pardon inconditionnel serait-il la marque du vrai disciple ? L’amour fraternel au quotidien, même devant les difficultés toutes humaines rencontrées, serait-ce le miroir de celui ou celle qui a pris l’évangile au sérieux ? Mais où trouver la force pour vivre à la hauteur de cet appel de Jésus ? Permettez que je vous raconte une petite histoire personnelle qui m’a enseigné une chose élémentaire mais essentielle.

C’était au début mai, il y a quelque 25 ans. J’avais l’habitude de prendre mon jour de congé le vendredi. J’avais décidé pour ma première sortie à vélo de la saison de me rendre aux chutes Montmorency, une trentaine de kilomètres aller-retour. La piste cyclable est merveilleuse en longeant le fleuve, le ciel est dégagé, les poumons sont gonflés à bloc. À la hauteur de Beauport, je remarque que les gens que je croise semblent exténués, à bout de souffle. Je pense en moi-même qu’ils n’ont pas dû faire beaucoup de ski de randonné pendant l’hiver et qu’ils ont quelques muscles endormis. Puis soudain mon attention est attirée par le terrain d’un voisin qui longe la piste ; j’y vois un mat et le drapeau du Québec qui flotte à toute volée. Je réalise, tout penaud, que j’ai le vent dans le dos et c’est ce qui rend ma ballade si facile. J’aurai moi aussi de la peine lors du retour.

C’est étonnant comme la vie chrétienne prend une autre allure lorsque le souffle de Dieu, le vent de l’Esprit passe dans notre vie. En hébreu, c’est la rouhah, celle qui présidait à la création du monde, le vent qui soufflait sur les eaux tumultueuses. Comme le souffle de vie d’un enfant qui vient de naître. C’est l’Esprit de Dieu seul qui nous permet de vivre les exigences de l’évangile. Les apôtres de Jésus ont été émerveillés lors de la multiplication des pains ou de la pêche miraculeuse, lors des exorcismes et des guérisons par milliers. Mais cela ne leur a pas donné le courage de suivre Jésus jusqu’à la croix. Il faudra attendre que le souffle de Dieu fasse sauter les verrous du cénacle où ils s’étaient enfermés, que l’Esprit de Pentecôte les transforme pour en faire de vrais disciples capables d’annoncer au monde la Bonne Nouvelle du salut.

L’Église en a fait un sacrement : la confirmation. Peut-être qu’à 8, 10 ou 15 ans, on ne sait rien des difficultés que nous rencontrerons dans notre vie chrétienne. Pourtant, l’évêque a prononcé sur nous cette parole en nous signant au front : ‘Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu’. Voilà celui que nous devons invoquer avec force lorsque vivre l’évangile nous semble difficile. Esprit Saint, descends dans mon cœur pour que je devienne bienveillant envers ceux que je rencontre, même ceux qui ne sont pas de même opinion que moi, qui viennent d’un horizon qui ne m’est pas familier, qui parle un langage que j’ignore ou qui professent des idées aux antipodes des miennes. Sans ta présence, Esprit de Dieu, ma vie est difficile, impossible. Viens souffler dans mes voiles, donne-moi des ailes afin que je puisse vivre vraiment en disciple comme tu m’y invites depuis mon baptême. AMEN

Gilles Blouin, assomptionniste