La crise que nous vivons nous entraine malgré nous dans une expérience pour le moins insolite. Je ne parle pas du seul fait pénible de la pandémie mais du fait incontestable que, dans cette pandémie que nous traversons, la présence de la mort y soit constante. Et prégnante. Toutes et tous, nous sommes ainsi reconduits devant la question brûlante du sens de l’essentiel.
À travers le partage, via les médias, des témoignages divers d’hommes et de femmes de communautés multiples, géographiques, sociales, culturelles, religieuses, s’élève maintenant l’intuition d’un continent commun, d’un cœur commun, d’une sensibilité humaine universelle. Une intuition qui ne convainc pas vraiment tout le monde, à ce qu’il semble pourtant. De leur côté, les rapports statistiques quotidiens des malades et des morts, auraient de quoi favoriser quelque chose comme une révélation (!) : que nous, humains, avons un corps… mortel. Et c’est ce corps mortel qui, vivant, sent, souffre, aime, est aimé, mange, court et parle aussi ; c’est ce corps qui est mien, qui est tien, qui est sien, qui est aujourd’hui menacé. Bref, il apparaît que nous ne sommes pas de purs esprits. Certains l’ignorent encore : le bruit court que des personnes, aujourd’hui, trichent et bypass les consignes généralisées de distanciation physique, mesures qu’imposent à la raison les risques avérés de contamination du corps des autres. Qui sont donc ces malheureuses personnes qui agissent ainsi ? Des adultes qui devraient pourtant avoir quitté l’adolescence, et des ainés ; mais oui, des aînés ! Et puis des politiciens, des chefs d’État, des pasteurs – oui, des pasteurs… ! Tous des gens de bien.
Où donc trouverons-nous des critères convaincants qui feront plier les « égo-ïsmes », les orgueils et les arrogances ? Car l’enjeu est là, n’est-ce pas ? L’essentiel ne serait-il pas, alors, dans la juste et honnête reconnaissance que nous avons besoin de l’autre ? que son indifférence me fait mal ? que son mépris me tue ? et que ce malin virus qui arraisonne la planète entière aura raison de nous tous si nous ne nous réveillons-pas ? « Réveillez-vous ! », écrivait Tony de Mello, ce jésuite indien. Nous sommes mortels, tous, alors réveillons-nous grands dieux !
Or, nous avons la chance, dans notre confinement obligatoire, d’expérimenter deux choses tout à fait étonnantes : le silence et la lenteur. Ces deux seules choses nous enseigneraient, si nous le voulions – mais il faut le vouloir -, combien l’essentiel est doux. Et profitable. Nous honorons, et désirons, le progrès qui demande de toujours courir, d’agresser l’autre, de mépriser le sacré, alors que le silence et la lenteur contiennent déjà toutes les recettes du bien vivre. Le silence qui nous permet de penser et de méditer ; la lenteur qui nous garde présents, ici et maintenant, ni enfermés dans le passé que la mémoire même contrefait, ni dans le futur aussi imaginé qu’imaginaire. La lenteur qui nous protège contre la vaine et infantile angoisse ; le silence qui fait de nous des humains (et non des girouettes). L’essentiel, si on le cherche, serait, selon moi, dans cette direction-là : lenteur et silence.
La philosophie à ses tout débuts était une manière de vivre. Ne l’est-elle pas toujours ?
Joyeuses Pâques !
MONIQUE LORTIE
lortie.monique@gmail.com
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui