La métamorphose contemporaine du sacré
Billet éditorial
Monique Lortie M.A. phi.
« Comment sommes-nous passés, en moins d’un siècle, du culte du héros au culte de la victime », demande le philosophe chercheur français, François Azouvi. Cette question redoutable et lucide constitue l’une des clés des tourmentes culturelles que nous traversons.
– Ah bon, nous traverserions une période de tourmentes ?
Jusqu’aux années soixante, point de bascule de l’équilibre culturel et spirituel de l’Occident, on apprenait dès le plus jeune âge à tourner son regard vers les héros de l’histoire : Charlemagne, Jeanne d’Arc, le Docteur Schweizer, Maisonneuve et Jeanne Mance, la mère Teresa, Jacques Cartier, Padre Pio, Jean Vanier, l’abbé Pierre… « Cherchant des modèles de vertu à travers ces femmes et ces hommes supérieurs, déterminés, durs à l’épreuve, nous y trouvions pour nous et nos enfants une source d’édification morale, un encouragement à ne pas nous laisser désespérer par l’adversité. »
« Il y avait quelque chose de sacré, et d’une sacralité toute religieuse, dans cette galerie de femmes et d’hommes illustres qu’on nous apprenait à admirer : on pouvait déceler, à travers eux et jusqu’au creux de leur faiblesse, l’intervention de Dieu dans l’Histoire. »
Pourtant, le XXe siècle a peu à peu repoussé les héros et effacé leur sacralité au profit de la Victime.
– N’est-ce pas là ce que nous pouvons observer ?
« Achevant l’entreprise de sécularisation qu’on ne peut ignorer pour peu que nous soyons conscients, l’Occident a renversé la statue du héros, l’a rendue scandaleuse même, afin de mieux s’affranchir du Dieu qui la fondait », avance encore notre chercheur.
« Mais parce que les hommes réclament du sacré, qu’ils le reconnaissent ou pas, les victimes semblent s’être imposées comme figures de substitution. »
Et parce qu’aujourd’hui notre sensibilité prend, de plus en plus, la place de notre discernement, la « victime » incarne désormais tout : le Bien, le Beau et le Vrai.
Fortes de cette aura, ces « victimes » dénoncent, le regard clair, des crimes qui ne tomberont jamais sous la loi de la prescription. On accusera, par exemple, un Molière mort et enterré depuis 350 ans, d’être un homme méprisant envers les femmes… On réécrira son théâtre… avec l’accord de la Comédie française ; Jeanne d’Arc, elle, nous a tous bernés : elle n’était tout simplement qu’une transgenre, etc…
La Victime alimente, de nos jours, notre appétit pour une culpabilité sans possible réparation, sans possibilité de se défendre devant un juge comme la loi sociale le prescrit pourtant.
Avec la précision de l’historien, la rigueur du philosophe, et la finesse de l’homme de lettres, François Azouvi ausculte dans son livre une chronologie de cette véritable révolution culturelle qu’il nous faut comprendre – pour nous en dégager. Urgence !
Car, voyez-vous, ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui en paieront, qui en paient déjà, le prix. « Dieu est mort et c’est nous qui l’avons tué » avait dit Nietzche en prophétisant le pernicieux nihilisme contemporain.
Du héros à la victime : la métamorphose contemporaine du sacré (Gallimard, mars 2024).
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