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À la rencontre d’Hiroshima

Éditorial du dimanche 5 mai 2024 par Ann Montreuil, éditorialiste au Montmartre à Québec

Je reviens d’un voyage de quatre semaines au Japon.

J’aurais pu vous entretenir de la magnificence des cerisiers en fleurs, du mont Fuji qui glisse entre ciel et terre, de la trépidante  Tokyo ou de la quiétude de Koya-san, des temples bouddhistes et shintos présents partout et des japonais qui s’absentent devant leur cellulaire.
Mais j’ai choisi Hiroshima et j’essaierai de mettre des mots sur ce qui se vit plus que ce qui se raconte.
Je désirais voir cette ville comme si je m’en faisais un devoir de lucidité mais un certain malaise (ou malaise certain) m’habitait.
J’appréhendais les regards des habitants qui portaient en eux une histoire sacrificielle issue de plan de l’occident pour mettre fin à la deuxième guerre mondiale. Je crois que même  mes pas se voulaient feutrés pour ne pas offenser cette terre de souffrance. Je sentais que je faisais partie de cette civilisation qui le 6 août 1945, à 8h15, alors que les enfants étaient partis à l’école, les travailleurs à leur boulot, larguait au-dessus de cette ville qui accueillait 350,000 personnes, la première bombe atomique.
La force et la chaleur de la déflagration de « little boy » ont tué 90,000 personnes sur-le-champ, détruit 60,000 bâtiments dans un rayon de 1.6 km soit 90% de la ville. On estime à 140,000 le nombre total  de personnes décédés quelques mois plus tard des suites de blessures et d’exposition à la radiation et  tant de cœurs meurtris à jamais
Le musée du mémorial de la paix a une  vocation de communication  au monde entier en  faisant état  de la réalité des dommages physiques, psychologiques, économiques à travers une collection bouleversante de photos, d’objets personnels, de dessins et de témoignages. Je ne m’étendrai pas sur le descriptif des corps en lambeaux ou couverts de  cicatrices, des rivières jonchées des corps de personnes qui s’y étaient élancées pour fuir une chaleur intenable, des gens qui ouvraient la bouche pour recueillir cette goutte de pluie noire  afin de soulager leur soif inextinguible ingurgitant ainsi une potion mortelle saturée d’isotopes radioactifs, des récits de mères éplorées qui n’ont retrouvé que la boite à lunch de métal martelée ou la ceinture de leur enfant comme seule relique…
Je l’écris et j’en tremble encore.
Mais le ton employé pour faire la démonstration de cette dévastation était sobre, ne se voulait pas culpabilisant mais pédagogique et rendait encore plus puissante la voie choisie par cette population si fortement éprouvée, celle d’opter pour une démarche de paix durable car cela constitue ultimement la seule solution.
 
Dehors, le Dôme de Genbaku (signifie bombe atomique en japonais)  constitue le seul bâtiment qui soit resté debout à l’hypocentre du lieu d’explosion. Il représente un symbole puissant de la force la plus destructrice que l’homme ait jamais eu. Cet édifice était jadis le hall de la promotion des industries de la préfecture et faisait la fierté de la ville. Quelques mois après le bombardement, on prit la décision de prendre les dispositions pour préserver les ruines de ce bâtiment non pas pour faire étalage de l’horreur mais pour que ce lieu en soit un de mémoire, pour promouvoir le pacifisme, pour qu’il soit lieu de recueillement et de paix
Aucun écrit acrimonieux. La ville a trop souffert et ne veut pas s’engluer dans la haine car ses habitants ont vus plus que quiconque qu’elle est sans issue. La seule option viable est celle de la main tendue pour rebâtir sur d’autres assises et ne jamais oublier.
Ceci est de l’ordre d’une démarche de pardon sans précédent et d’une déclaration de désir de vivre.
De fait Hiroshima s’est rapidement et spectaculairement remise de sa destruction. Elle compte aujourd’hui 1.2 millions d’habitants et est reconnue site du patrimoine mondial de la paix par l’Unesco.
Le parc commémoratif est planté d’arbres, de fleurs car la vie reprend son cours.
On entend périodiquement le son grave de la cloche de la paix que les visiteurs sont invités à faire résonner comme une prise de position pour la paix, comme une prière qui monte du plus profond de soi et qui a tellement besoin de s’exprimer.
 
Aligné avec le dôme, un cénotaphe en forme d’arche, contient le nom de toutes les victimes connues et arbore une épitaphe éloquente : « Puissent toutes les âmes rester ici en paix car nous ne répèteront pas la même erreur ». Le texte interpelle l’humanité entière. 
Toujours dans le même axe, la Flamme de la paix, allumée le 1er août 1964 et qui symbolise la lutte contre l’armement nucléaire; elle ne devrait s’éteindre qu’à l’éradication de toute forme d’arme nucléaire. Le 19 mai 2023, les dirigeants du G7 se réunissaient à Hiroshima pour produire un document qui met l’accent sur la dénucléarisation en réitérant qu’aucune guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée, enjoignant la Russie, la Chine, la Corée du Nord et L’Iran  à renoncer à la course aux armements. Contre tout entendement,  la menace nucléaire terrasse encore l’humanité.
Je conclurais cette visite par le monument de la paix des enfants où s’élève sur un piédestal abritant une cloche,  une fillette tenant à bout de bras une grue dorée. Il se veut la commémoration de l’histoire de Sadako  Sasaki âgée de 2 ans au moment du bombardement. Bien qu’ayant survécue à la déflagration, elle  fut atteinte plus tard d’une leucémie. Elle décida de plier de petites grues en papier car selon une légende japonaise, en réunir mille permettait de voir ses vœux exaucer. Malheureusement elle mourut à douze ans après en avoir confectionné 644 et des enfants de sa classe se sont mobilisés pour appuyer la construction d’un monument de paix . Du monde entier, des enfants offrent des origamis de grues, plusieurs milliers étant exposés sous  verre.
 Au pied de ce monument est gravé : Ceci est notre cri
                                                               Ceci est notre prière
                                                               Pour construire la paix dans le monde
Joignons nous à cet appel  d’enfant avec un immense respect pour la ville d’Hiroshima.